A la demande du groupe Les Républicains, le Sénat organisait, le 9 février, un débat sans vote consacré à la question des mineurs non accompagnés (MNA). Depuis la crise migratoire de 2015, le nombre des MNA s'est très fortement accru et, malgré une aide de l'État, leur prise en charge pèse lourdement sur les budgets de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des départements. La gestion de ce dossier fait en outre l'objet de critiques récurrentes de la part de la Cour des comptes (voir notre article du 5 janvier 2021) et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas, voir notre article du 26 janvier 2021). Ces critiques répétées ont conduit le gouvernement à prendre plusieurs mesures depuis deux ans, notamment sur les aides de l'État et les contrôles, et ont amené tout récemment Adrien Taquet, le secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles, a annoncer l'interdiction, sauf cas très particuliers, du recours aux nuitées d'hôtel par les départements, aujourd'hui utilisées à 95% pour des MNA (voir notre article du 28 janvier 2021).
Le débat a viré dans un premier temps à la confrontation de chiffres. Tout en soulignant que "cet accueil est d'abord le reflet d'un drame humain", Laurent Burgoa, sénateur du Gard, qui a ouvert le débat pour le groupe LR, a ainsi évoqué un nombre de 40.000 MNA, un flux de 37.000 MNA par an et un coût de 2 milliards d'euros pour les départements, indiquant au passage que "l'Assemblée des départements de France (ADF) nous alerte sur le fait que près de 70% de prétendus mineurs ne le sont pas en réalité". Il s'en est pris également aux départements – environ un tiers – qui "se refusent à renseigner un fichier national recensant les demandes de prise en charge, et permettant ainsi de lutter contre les demandes répétitives et abusives".
Dans sa réponse, Adrien Taquet a présenté des chiffres assez différents. Il a ainsi indiqué que le territoire comptait 31.000 MNA au 31 décembre 2019, contre 13.000 en 2016. Le nombre d'arrivées semble toutefois diminuer. Il avait déjà très légèrement baissé en 2019 (-1,5%) et a chuté en 2020 – sans surprise au regard de la crise sanitaire, de la fermeture des frontières et de l'effondrement du trafic aérien –, avec seulement 9.000 reconnaissances de minorité, contre plus de 17.000 en 2018. Adrien Taquet a également rappelé que les MNA "sont pour 95% des garçons, dont la grande majorité, soit 77%, sont âgés de 15 et 16 ans". Deux tiers d'entre eux sont originaires de Guinée, du Mali et de Côte d'Ivoire, avec une légère progression, de l'ordre de 10%, du nombre de jeunes maghrébins. Il a aussi passé en revue plusieurs mesures récentes : renforcement du bilan de santé, déploiement du "fichier d'appui à l'évaluation de minorité "(AEM), ou encore circulaire du ministre de l'Intérieur de septembre dernier pour anticiper l'examen du droit au séjour avant le passage à la majorité (voir notre article du 2 octobre 2020). Enfin, Adrien Taquet s'est arrêté sur le volet budgétaire, en rappelant le nouveau dispositif mis en place par l'État (voir notre article du 28 octobre 2020).
Le débat interactif qui a suivi a fait ressortir un certain nombre de thèmes récurrents. Elianne Assassi (PCF, Seine-Saint-Denis), s'est ainsi demandée s'il ne serait pas "temps d'instaurer un dispositif – financé, bien sûr – de prise en charge des MNA qui soit juridiquement contraignant pour tous les conseils départementaux, notamment en termes de places d'hébergement en foyer ou en famille d'accueil et de postes de travailleurs sociaux". Adrien Taquet a expliqué n'avoir "jamais mis en cause les départements" : "J'ai dit que chacun avait sa part de responsabilités, et qu'il nous fallait agir ensemble pour mieux accompagner ces enfants".
Le manque de soutien de l'État aux départements – avec la question sous-jacente de savoir si les MNA relèvent de la politique migratoire (compétence de l'État) ou de la protection de l'enfance (compétence des départements) – est revenu à plusieurs reprises. Pour Hussein Bourgi (PS, Hérault), "nous avons le sentiment que l'État se défausse sur les départements, laissant à ceux-ci le soin de prendre en charge les mineurs non accompagnés". Même chose pour Alain Cadec (LR, Côtes d'Armor), rappelant qu'"en 2019, l'État budgétait ainsi seulement 141 millions d'euros, alors que le coût évalué par l'ADF était de 2 milliards d'euros. C'est un gouffre financier pour les départements, qui s'ajoute d'ailleurs à la non-compensation croissante des allocations individuelles de solidarité".
Pour Esther Benbassa (EELV, Paris), les préoccupations portent sur "les délais de traitement des recours de reconnaissance de minorité auprès d'un juge [qui] peuvent varier de six à vingt-quatre mois, et certains jeunes arrivent à majorité avant d'obtenir une réponse". Elle souligne également "de grandes disparités territoriales : dans certains départements, l'évaluation de ces mineurs ne va durer qu'un seul jour ; dans d'autres, ils seront placés à l'hôtel pendant plus de six mois". Elle demande donc "d'appliquer immédiatement la présomption de minorité pour ces jeunes en recours". Adrien Taquet a toutefois fait valoir que les départements, ou les associations qui ont reçu une délégation, "évaluent en moyenne sous quinze jours". Sur l'application de la présomption de minorité, le secrétaire d'État a expliqué qu'"en 2018, sur les quelque 40.000 jeunes qui sont venus se déclarer mineurs, seuls 17.000 à 18.000 l'étaient vraiment !".
Pour sa part, Thani Mohamed Soilihi (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Mayotte) a insisté sur la spécificité de ce département, avec plus de 4.000 MNA dénombrés en 2016. Conséquence : "Alors que les MNA représentent entre 15% et 20% des mineurs pris en charge par l'ASE en 2018 à l'échelon national, ce pourcentage est plus du double à Mayotte, dans une proportion qui a elle-même presque doublé en deux ans".
Nathalie Delattre (RDSE, Gironde) est revenue sur la question de la délinquance des MNA (voir nos articles ci-dessous du 2 octobre et du 19 octobre 2020). Selon la préfecture de la Gironde, "plus de 40% de la délinquance des mineurs à Bordeaux serait le fait de ces mineurs non accompagnés ; 1.400 d'entre eux ont d'ores et déjà été pris en charge par le département, mais au moins 200 posent encore problème. Pourtant, une trentaine seulement seraient réellement âgés de moins de 18 ans". Elle demande donc "pourquoi le recours aux radiographies osseuses n'est-il pas systématique lorsqu'un jeune migrant souhaite contester la décision du département devant un juge pour enfants, seul habilité à statuer définitivement".
Pour Adrien Taquet, "en droit et en fait, les tests osseux ne garantissent pas de connaître avec certitude l'âge d'une personne, ainsi que nous le disent les scientifiques [bien que leur usage a été validé par le Conseil constitutionnel, ndlr]. C'est encore plus vrai pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans : le corps se développant à cette période, il est difficile de déterminer l'âge avec précision".
Interrogé à plusieurs reprises sur les chiffres, le secrétaire d'État a également apporté des précisions intéressantes, en particulier sur l'écart entre les demandes et les reconnaissances de minorité. Ainsi, "en 2017, 44.000 jeunes se sont déclarés MNA pour être évalués, et 14.000 ont été reconnus comme tels ; en 2018, ils étaient 17.000 sur 51.000 ; en 2019, on en comptait 16.000 sur 36.000. Le taux d'acceptation est donc compris entre 30% et 40%". Par ailleurs, environ 11.500 MNA (reconnus) accèdent chaque année à la majorité, une grande partie d'entre eux étant arrivés sur le territoire à l'âge de 15 ou 16 ans. En 2019, ce sont ainsi 5.630 titres de séjour qui ont été délivrés à des MNA, tandis que 400 ont été refusés.
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