A l'occasion des 9es journées annuelles de la Société française de l'évaluation (SFE) qui se dérouleront les 11 et 12 juin à Marseille, agents publics, consultants, experts et universitaires débattront des "nouvelles frontières" de l'évaluation. Des échanges résolument tournés vers l'avenir, alors que cette démarche qui vise à apprécier l'efficacité et les effets des politiques publiques a vingt ans cette année. La présidente de l'association, Annie Fouquet, nous dit pourquoi l'optimisme est de mise.
Localtis - L'évaluation a vingt ans cette année. Son histoire est-elle un long fleuve tranquille ?
Annie Fouquet - Elle n'est pas linéaire. Le rapport Viveret "L'évaluation des politiques et des actions publiques", rédigé en 1989 à la demande de Michel Rocard, et la circulaire du 23 février 1989, relative au renouveau du service public, ont introduit l'évaluation en France. Elle a connu ses heures de gloire à ce moment là. Faute de volonté politique, elle est ensuite tombée en désuétude, les instances interministérielles et le Commissariat général au Plan étant abandonnés. La culture de l'évaluation s'est cependant développée dans les collectivités territoriales, notamment grâce à l'obligation faite par la Commission européenne d'évaluer les programmes communautaires. Si bien que les collectivités sont aujourd'hui des lieux d'innovation en matière d'évaluation et de réflexion sur son utilité sociétale, alors que les services de l'Etat, sans doute du fait de la loi organique relative aux lois de finances - la "Lolf" - sont incités à envisager l'évaluation sous le seul angle de la logique de performance et de la mesure des résultats.
Depuis 2008, l'évaluation des politiques publiques est explicitement inscrite dans la Constitution. Est-ce un tournant dans l'histoire de la discipline ?
Oui, une institutionnalisation de l'évaluation au sens fort. Depuis la révision constitutionnelle du 21 juillet 2008, l'évaluation des politiques publiques est confiée au Parlement, assisté par la Cour des comptes. Une semaine de séance du Parlement sur quatre est désormais réservée à l'initiative parlementaire, notamment pour le contrôle de l'action du gouvernement et l'évaluation des politiques publiques. Cela signifie que toutes les politiques vont devoir passer au crible de l'évaluation. Les actions menées ont-elles répondu aux objectifs fixés par le législateur ? Les dispositions prises étaient-elles les bonnes ? Ont-elles répondu aux besoins des bénéficiaires ? Etc. Toutes ces questions vont être posées. Il faut aussi souligner qu'une étude d'impact est désormais réalisée pour chaque projet ou proposition de loi. Elle précise les conséquences du texte, son impact financier et sur l'environnement.
Il faudra que les parlementaires fassent vivre cette réforme... N'avez-vous pas des craintes ?
Pour avoir rencontré récemment l'entourage du président de l'Assemblée nationale, je suis optimiste sur l'application des dispositions constitutionnelles. Je crois aussi que la réforme va obliger l'administration de l'Etat à bouger. En général, pensant incarner à eux seuls l'intérêt général, les hauts fonctionnaires n'admettent pas qu'une évaluation soit conduite sur la politique qu'ils mettent en œuvre. Or, ils vont devoir répondre d'une façon nouvelle aux questions des commissions parlementaires et de la Cour des comptes. On devrait gagner en pragmatisme et beaucoup apprendre des autres.
Les difficultés économiques ne rendent-elles pas l'évaluation encore plus nécessaire ?
L'évaluation est actuellement plus que jamais indispensable pour vérifier si l'argent public est bien dépensé. De plus, elle peut nous faire découvrir des marges de manœuvre qu'on ignorait. Comme par exemple du côté du travail partenarial entre les acteurs publics concernés par une même politique, qui est largement perfectible.
Sur quels points l'évaluation peut-elle progresser ?
Sur beaucoup de points. Sur la "commande" : qu'est-ce qu'on évalue, pour qui, pour quoi ? Sur son organisation et ses méthodes. Sur tous ces sujets s'ouvrent de nombreux chantiers.
Propos recueillis par Thomas Beurey
La loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 stipule dans son article 7 que les projets de loi doivent être précédés d'un exposé des motifs. Son article 8 est encore plus précis puisqu'il précise qu'ils doivent également faire l'objet d'une étude d'impact obligatoirement jointe au projet de loi.
Ces études doivent préciser :
- les objectifs poursuivis,
- les possibilités alternatives qui s'offraient à régime juridique constant,
- les éléments justifiant la nécessité de recourir à une nouvelle loi en prouvant que les autres solutions juridiques n'étaient ni possibles ni pertinentes,
- l'articulation de cette nouvelle loi avec le droit européen,
- le calendrier d'application de la loi et le recueil des textes législatifs et règlementaires à modifier,
- l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales de la nouvelle loi proposée,
- le bilan coût / avantage pour chaque catégorie de tiers en précisant les méthodes retenues pour procéder au calcul considéré,
- les retombées et les conséquences du texte en matière d'emploi public.
Les études d'impact pourraient constituer un point essentiel pour améliorer l'efficacité du droit français, comme l'a par exemple détaillé le rapport relatif à la "qualité et à la simplification du droit" de Jean-Luc Warsemann, président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, qui préconise un renforcement de ces études.
Une préoccupation similaire est d'ailleurs constatée au niveau des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. La création du Comité consultatif d'évaluation des normes par l'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2007 en témoigne. Emanation du Comité des finances Locales, cette instance a pour mission d'étudier l'impact financier des nouvelles mesures réglementaires imposées aux collectivités territoriales.
Au niveau européen la réalisation des études d'impact est également préconisée, par exemple dans le document interne élaboré par la commission européenne intitulé "Lignes directrices concernant l'analyse d'impact" (SEC n°2005-791).
Si cette thématique est donc un enjeu très largement partagé, reste à définir des méthodologies légitimes et pertinentes.
Finances territoriales
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